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Solidarités

Michelle Marand-Porcheret : « Je n’ai rien oublié »

Publié le | Mis à jour le

Cette ancienne habitante du Village des expos, aujourd’hui résidente de l’EHPAD des Bigourettes, a traversé le XXe siècle et ses drames. 80 ans plus tard, ses souvenirs de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation restent intacts.  

« Je suis née à la Chabossière, à Couëron, il y a près d’un siècle, le 13 novembre 1925. » C’est par ces quelques mots simples et sans détour que Michelle Marand-Porcheret commence le récit d’une vie. De sa vie. Une traversée du siècle qui l’aura notamment amenée à éprouver la Seconde Guerre mondiale et l’Occupation allemande.

Lui reviennent ainsi en mémoire les grandes privations et les petites humiliations quotidiennes. Et surtout, la gangue de terreur dans laquelle les Nantaises et Nantais d’alors vont baigner durant près de 4 ans. « Je n’ai rien oublié », murmure Michelle, le regard perdu dans ses souvenirs.

Rutabagas

Née d’un père instituteur (qui fera notamment la classe au petit Jacques Demy) et d’une mère suissesse, Michelle Marand-Porcheret achève ses études à Nantes lorsque la guerre éclate. S’en suivront 4 ans d’une vie âpre et sans lumière : les terribles privations et les « rationnements journaliers à base de rutabaga, qui rendent la faim insupportable » ; la surveillance policière des collaborateurs français, le bruit des bottes et la répression aveugle de l’occupant, comme lors de l’épisode des 50 Otages ; les terribles bombardements alliés de septembre 1943, qui l’ont meurtrie jusque dans sa chair.

J’ai été soufflée à deux reprises, je me rappelle encore des gravats qui m’ensevelissent, la poussière qui m’empêche de respirer. Le lendemain, en traversant les villes, j’ai découvert un paysage lunaire, des immeubles calcinés, des rues retournées, des cochers mutilés et des chevaux éventrés. À quoi ça tient la vie ? Je suis une trompe-la-mort.

Michelle Marand-Porcheret -
Image de bâtiments détruits par les bombardements alliés de septembre 1943.
Le centre-ville de Nantes après les bombardements alliés de septembre 1943.

Premier amour

L’Occupation, ce sont aussi les rafles contre les Résistants et les Juifs, qui se multiplient à partir de 1943. Son frère aîné, proche des maquis, échappent ainsi de peu à l’une d’elles. « Il est parti un soir, sans prévenir, car une voisine nous avait prévenus que la police arrivait pour l’arrêter. Nous ne l’avons pas vu jusqu’à la fin de la guerre. On a su après coup qu’il était parti se réfugier dans les Charentes, ce qui lui a sauvé la vie, contrairement à deux de ses camarades, morts en déportation. » 

Quelques souvenirs heureux affluent également, comme la liesse populaire lors de la libération de Nantes avec l’arrivée des Américains le 12 août 1944. « On est allé à la prison de Nantes arborer le drapeau français et chanter la Marseillaise à tue-tête, sourit Michelle. C’était une joie extatique, tout le monde s’embrassait et se réconfortait, c’était beau ». Et puis, comment ne pas évoquer cette première histoire d’amour avec un GI américain. « Il s’appelait Johnnie Lyn, il avait 20 ans, moi 19. Nous nous sommes fréquentés pendant un mois, il était beau et tendre. Il attendait d’être affecté à un autre champ de bataille. J’ai appris plus tard qu’il était mort dans les Ardennes, en libérant la France. »

Portrait de Michelle Marand-Porcheret
Michelle Marand-Porcheret est un grand témoin du XXe siècle et de ses drames.

Tranquille comme Baptiste

À la fin de la guerre, Michelle fonde une famille et s’installe en 1969 au Village Expo, dont l’urbanisme novateur (des maisons individuelles à une époque où la reconstruction du pays privilégie les grands ensembles) attire les jeunes des classes moyennes. Sténographe-dactylo au service du patrimoine puis secrétaire personnelle des architectes de la mairie de Nantes, Michelle participe, à sa manière, à la reconstruction de « sa » ville. Aujourd’hui résidente à l’EHPAD des Bigourettes, Michelle Marand-Porcheret se dit heureuse et tranquille comme Baptiste. « Mais toutes ses images, elles sont là, dans ma tête. Je ne les oublierai jamais. »