Vie économique
Avec Lisaqua, l’aquaculture devient durable
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La start-up, installée dans la zone industrielle herblinoise, élève des crevettes de façon durable et selon les procédés de la permaculture. Visite des coulisses de cette jeune pousse qui innove en réinventant l’élevage de crevettes.
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Une eau trouble rappelant la mangrove, riche en (bonnes) bactéries et en micro-algues, et dans laquelle dodelinent des gambas bien dodues. Nous ne sommes pas sous les Tropiques, mais bien à Saint-Herblain. Ici, dans la zone industrielle, la jeune entreprise Lisaqua développe depuis 2018 la première ferme de crevettes 100 % française.
À l’origine du projet, un trio composé d’une biologiste marine, d’une ingénieure de l’École des mines et d’un diplômé d’HEC. Celui-ci est mû par un projet aussi ambitieux qu’il paraît – de prime abord – chimérique : développer un élevage de crustacés en zone urbaine, qui soit durable, c’est-à-dire sans impact négatif sur l’environnement et sur la santé humaine. Et qui soit, en même temps, qualitatif sur le plan gustatif. Une gageure.
Et pourtant, 7 ans après l’idée initiale, ce qui aurait pu rester à l’état de galéjade est devenue réalité. Lisaqua propose désormais des crevettes écolos élevées sans antibiotiques, sans sulfites et sans rejets polluants. « On utilise aussi 20 % d’aliments en moins que l’aquaculture conventionnelle et 200 fois moins d’eau », note Charlotte Schoelinck, biologiste marine et co-créatrice de Lisaqua.
À l’origine du projet, il y a un constat d’étonnement réalisé par Charlotte Schoelinck, alors en contrat post-doctorante au Canada. D’un côté, les ravages de la surpêche, qui dépouille les océans de leur biodiversité. Et de l’autre, le développement d’une aquaculture conventionnelle, irrespectueuse des poissons, des crustacés et des populations locales.
« Là-bas, j’ai visité des fermes d’esturgeons et de saumons, les conditions d’élevage étaient mauvaises, se souvient Charlotte Schoelinck. L’eau était utilisée en quantité importante car en circuit ouvert et les rejets des poissons n’étaient pas suffisamment filtrés, provoquant des pollutions locales. Et puis surtout, les poissons étaient élevés dans une grande promiscuité, nécessitant l’utilisation considérable d’antibiotiques, dont on sait aujourd’hui qu’elle provoque des antibiorésistances dangereuses pour la santé humaine. »
Ce modèle d’aquaculture est pourtant utilisé à grande échelle dans le monde, notamment pour les crustacés élevés en zone tropicale (gambas) comme celles qui se retrouvent dans les bassins de Lisaqua. Leur production a des conséquences sociales et écologiques importantes, largement documentées par les ONG : destruction de la mangrove (habitat naturel des gambas) et de leur rôle protecteur face aux aléas climatiques, pollution des cours d’eau, assèchement de la ressource halieutique utilisée par la pêche côtière, exploitation des travailleuses et travailleurs.
« Pourtant, les besoins en protéines animales dans le monde vont augmenter dans les prochaines décennies, dans un contexte de croissance démographique soutenue, indique Charlotte Schoelinck. Pour ça, il y a 2 façons durables d’y répondre indique la FAO [NDLR : organisme onusien pour l’alimentation et l’agriculture] : l’élevage de volaille et celui de crustacés. Pour l’aquaculture, c’est une progression de 40 % qui est nécessaire. »
Initié par le trio en 2017, l’idée de ferme aquacole se concrétise en 2021, avec l’arrivée de la petite équipe dans des locaux industriels situés le long du boulevard Charles-de-Gaulle. Avant cela, il aura fallu passer les fourches caudines de la recherche et développement afin de mettre au point le procédé d’élevage et parvenir à élaborer une eau qui se rapproche le plus possible du profil de la mangrove.
Les associés commencent ainsi par travailler, dixit Charlotte, « sur un petit aquarium stocké dans un salon d’appartement », avant d’être testé à plus grande échelle, grâce à des piscines de jardin installées sous le pont de Chauviré. « Des innovations imaginées de façon très frugale, sourit aujourd’hui Charlotte Schoelinck. Cette étape, qui a duré près de 4 ans, a été riche d’enseignements. Et elle nous a confortés dans notre intuition : oui, il est possible de faire de l’aquaculture locale et respectueuse de l’environnement. »
Le projet qui prend forme est alors soutenu par des acteurs institutionnels, à l’instar de la Banque publique d’investissement (BPI), qui lui verse en 2020 1,4 millions d’euros dans le cadre de son plan « Deeptech ».
10
tonnes de crevettes produites chaque année (objectif de 10 000 tonnes d’ici 2030)
35
salariés au sein de l’entreprise
2 000
m2 de locaux à Saint-Herblain (6 000 m2 dans la ferme implantée en région parisienne)
100
restaurateurs réguliers parmi les acheteurs des produits de Lisaqua
Quelques années plus tard, les recherches préliminaires se concrétisent dans des bassins d’élevage de 2 000 m2, aménagés à Saint-Herblain. Sous ces entrepôts à la température constante, des milliers de gambas grandissent ainsi en silence, dans une eau riche en oxygène, en algues et en microplanctons. Épuisette à la main, Charlotte Schoelinck commente : « Nous ajoutons à l’eau des bactéries qui se nourrissent des rejets des crevettes. Celles-ci sont à leur tour mangées par le plancton, dont les crevettes se font ensuite un festin. La boucle est bouclée. » 20 % de leurs repas est ainsi fournis par le plancton, le reste étant apportée par l’entreprise sous forme de chair de poisson.
Et de boucle, il est d’autant plus question qu’avec Lisaqua, les crevettes se reproduisent sur place, dans des écloseries maison adaptées à la reproduction du crustacé. Chaque crustacé donne vie, en une ponte, à plusieurs milliers de larves qui viendront alimentées les bassins de maturation. Ce véritable écosystème marin transplanté en milieu urbain fonctionne en circuit fermé, limitant de fait les risques de contamination et donc de recours à des antibiotiques.
Les crevettes sont pêchées chaque jeudi avant d’être vendues entre 36 et 50 euros le kilogramme aux restaurateurs (essentiellement gastronomiques) et poissonniers de la région, lesquels apprécient la tenue, la fraîcheur et la finesse de sa chair. Parmi les clients (et fidèles de la première heure) de Lisaqua : Jean-Yves Guého, chef cuisinier de l’Atlantide, à Nantes.
Les crevettes qui ne sont pas vendues fraîches sont surgelées, sans autre forme de transformation et sans ajout de sulfites, pointés du doigt pour leurs effets allergènes. « Ce que je ne veux pas pour mes enfants, je n’en veux pas non plus pour les consommateurs », note Charlotte Schoelinck.
35 personnes aux profils variés (commerciaux, biologistes, opérateurs de laboratoires…) s’affairent désormais à pérenniser l’aventure Lisaqua. « Ici, c’est un test grandeur nature très concluant, poursuit Charlotte Schoelinck. L’objectif, c’est désormais de développer ce système de ferme aquacole un peu partout en France ».
Parmi les prochains projets de l’entreprise : une ferme en région parisienne, raccordée au réseau de chaleur local pour réduire la consommation énergétique du bâtiment. « Réduire ces coûts, ça nous permettra de stabiliser notre modèle économique et d’aller encore plus loin dans notre démarche environnementale. Et surtout, c’est l’opportunité de baisser nos prix pour être plus accessible aux particuliers, car nous sommes encore un peu cher », concède Charlotte Schoelinck.
La crevette herblinoise a de beaux jours devant elle.
Infos pratiques
Lisaqua
25 du Tisserand. Plus d’infos : contact@lisaqua.com / 06 52 07 97 04
Pour acheter des crevettes de Lisaqua (vente à la ferme) : commande sur le site de l’entreprise ou via la plateforme pourdebon