Animations, festivités - Culture
Alain Ughetto : l’interview du parrain de Ciné-motion
Publié le | Mis à jour le
Le réalisateur Alain Ughetto, parrain du festival de stop motion amateur Ciné-motion, revient sur les coulisses de son film, « Interdit aux chiens et aux Italiens », sur la technique du stop motion, et sur son rôle de president du jury.
Propos recueillis le vendredi 12 avril 2023, en marge d’une projection du film « Interdit aux chiens et aux Italiens » au cinéma Le Lutétia.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire de votre famille dans ce film ?
C’est le devoir de mémoire, témoigner de la vie de ma grand-mère et mon grand-père. Je l’ai fait d’abord pour moi, pour savoir d’où je venais, et pour mes enfants, qu’ils sachent eux aussi d’où ils venaient. Je me suis rendu compte que ça touchait beaucoup de monde, et ça j’en suis très fier.
Comment avez-vous composé le récit qu’elle fait de votre histoire familiale ? Quelle est la part de vos propres souvenirs, de ce que vous avez pu aller chercher dans les livres, les films, dans le récit des autres ?
J’avais 12 ans quand ma grand-mère est morte. J’ai ce souvenir d’elle qui prenait la croute du fromage, le retournait sur le four pour la faire griller et m’appelait pour me la donner. Un souvenir d’élégance et de générosité que j’ai gardé en tête tout au long du film.
Pendant mon enquête, je me suis surtout intéressé à la mémoire orale. J’ai d’abord demandé les témoignages des gens qui ont connu ma grand-mère et mon grand-père. Ça a alimenté toute la fin du film. Et puis j’ai découvert le travail d’un sociologue Nuto Revelli et son livre « Le monde des vaincus », qui parle de paysans de l’âge de mes grands-parents qui ont vécu au même endroit. Ça a été une source d’informations importante. Et puis, il y a les archives.
Je me suis aperçu que ma famille a traversé trois guerres, une pandémie qui a fait plus de morts que la guerre [NDLR : la grippe espagnole] et ils sont restés debout, dignes et fiers. Je ne voulais pas faire un film plombant. Il y a des morts, des naissances. C’est la vie.
Dans le film, on voit vos mains fabriquer vos personnages. Pourquoi avoir choisi de les montrer à l’écran ?
Dans ma famille, la transmission se fait de main en main. Mon père, c’était le babybel avec lequel il faisait des animaux, des figurines. D’ailleurs quand j’en parle à mes filles, c’est aussi le souvenir qu’elles ont de leur grand-père. Mon grand-père fabriquait ses propres outils. Il a transmis ça à mon père et à moi aussi. J’aime ce travail des mains.
Mais le fait d’avoir ma propre main à l’écran a créé des difficultés. Tout se faisait en proportion de celle-ci : les décors, les personnages. Rajoutez à cela la difficulté de mixer des images prises à l’appareil photo et des vidéos. Mes producteurs m’ont demandé si j’y tenais vraiment et je leur ai dit : « Si y a pas la main, y a pas de film ».
Comment on construit un film d’animation en stop-motion ?
J’ai abord écrit l’histoire, puis on fait les voix. Le choix d’Ariane Ascaride pour la voix de ma grand-mère Cesira s’est fait naturellement. En écoutant une émission de radio, j’ai découvert qu’elle avait le même vécu que moi dans l’enfance, ça donnait de l’épaisseur au personnage. Et le sujet l’a passionné. D’ailleurs, c‘est elle qui a trouvé « La bella polenta » qu’elle chante dans le film.
Pour revenir aux étapes du film, après viennent les animateurs qui illustrent par des gestes, et avec une très haute technicité, ce qui a été dit. Pour ce film j’ai employé des dizaines de mains, en plus des miennes, pour animer. Les animateurs venaient de Suisse, de Belgique, d’Italie : on a recréé l’Europe autour de ces deux immigrés [NDLR : Luigi et Cesira, les grands-parents d’Alain Ughetto dans le film].
À travers ce film vous racontez plus que l’histoire de votre famille, celle des immigrés italiens, de l’histoire européenne de la première moitié du 20e siècle. Aviez-vous la volonté de faire de l’intime une histoire universelle ?
Ma grand-mère a fait 11 enfants, il y avait 15 familles comme la sienne à Ugheterra, ça fait déjà 150 personnes : je savais que j’allais faire une histoire universelle ! Ce qui me touche dans les projections c’est de voir des jeunes femmes et des jeunes hommes venir avec leur grand-mère, leur grand-père, et voir leur émotion. C’est très fort.
Vous recevez le prix du meilleur film d’animation à Annecy en 2022. La sortie de votre film en salle en janvier dernier s’accompagne des meilleures critiques. On a pu vous entendre sur de nombreux plateaux, notamment ceux de Radio France. Et au cœur de cette actualité trépidante, vous acceptez de parrainer le festival Ciné-motion, qui est un festival pour amateurs. Pourquoi ?
J’ai fait ce film avec des producteurs français, italiens, belges, très à l’écoute de mes besoins, de ma vision, de mon rythme. C’est la maison de production Vivement Lundi ! qui m’a suggéré ce parrainage. J’ai dit oui pour les remercier. Et j’y vois plein d’avantages.
Le jury que vous avez présidé s’est réuni au cinéma Lutétia pour assister à la projection des 73 courts-métrages de la sélection 2023. Que retenez-vous de toutes ces images qui vous ont été montrées ?
On ne peut pas comparer un film d’un enfant de 11 ans et un film d’étudiant. Le cinéma part d’un vécu, quand on est étudiant, on a déjà vécu. On sent l’envie d‘avoir un discours. Alors que quand on a 11 ans, on s’en fout de l’histoire ! Mais j’ai vu une grande envie. Le premier geste cinématographie c’est important. Au sein du jury les consensus ont été assez rapides. Pour moi ce qui était important c’était : « Quelle histoire il veut nous raconter ? » Souvent il y avait des débuts d’histoire, mais pas de fin. Alors qu’il faut « tuer » son personnage, symboliquement, pour que l’histoire se termine.
Depuis que la Ville organise ce festival, nous observons que la technique du stop-motion se diffuse de plus en plus et au-delà des longs-métrages diffusés en salle : clip de musiciens (Orelsan, The White Stripes, etc.), publicité, campagne de communication. Selon vous, pourquoi cet attrait ?
Avec la 3D on n’a pas la main dans le cambouis. Avec le stop motion, on bricole, on doit trouver des solutions, on est dans la main, les sens. Par exemple sur le film, ça coutait trop cher de faire une forêt en brocolis moulés. Alors on a pris des vrais brocolis. On demandait aux commerçants de nous garder ceux avec les pieds les plus longs. « Mais ça se mange pas les pieds » ils nous disaient. Dans le studio, on a mangé des brocolis pendant des semaines.
Un jour, on m’a demandé ce que c’était pour moi l’animation. Pour moi, c’est le mouvement. Mais pas n’importe lequel, il faut que ce soit instinctif. Comme un chat qui fait face à un chien, quand il se passe quelque chose le mouvement est instinctif. Des fois quand on le manipule, le personnage nous échappe et raconte une histoire tout seul. Le cinéma, c’est que des émotions, on peut être ému par un bout de papier toilette, un stylo qui bouge tout seul, une chaussure qui traverse une pièce, le stop motion permet ça.
Si vous deviez encourager les enfants à faire du stop-motion, que leur diriez-vous ?
Déjà, ils ont des portables : commencez avec ça pour raconter une histoire. Et puis allez voir des films d’autres, faites-vous une cinéphilie, pas que d’animation, parce qu’on se construit avec ce qu’on voit. Ici, j’ai fait un film d’animation mais c’est d’abord un film : l’animation, c’est une technique.
Avez-vous des réalisateurs fétiches ?
Lubitsch, Fellini, Scola, il y en a plein. J’aime beaucoup regarder le travail des autres, ça me construit moi. Et les Italiens sont les seuls à parler de sujets très durs mais avec élégance, ça m’inspire.
Le palmarès du festival Ciné-motion 2023
73 films avaient rejoint la sélection officielle de la 3ème édition du festival Ciné-motion. 16 d’entre-eux ont reçu un prix.
Retrouvez le palmarès et plusieurs films primés sur le site de la Maison des Arts.